Par un arrêt du 5 février 2018, « SCI CORA » (n°407149), le Conseil d’Etat a précisé les conséquences d’un refus de l’administration de procéder au retrait d’un acte administratif entaché de fraude.
En l’espèce, la société PLACI s’est vue accorder un permis de construire par un arrêté du maire de Paris le 24 février 2014 afin de réhabiliter et surélever un hôtel particulier. Par un courrier en date du 3 août 2015, la SCI CORA a demandé au maire de procéder au retrait dudit permis de construire au motif que son bénéficiaire l’aurait obtenu par une manœuvre frauduleuse. Cette demande a été rejetée par une décision implicite. La SCI CORA a demandé l’annulation de ce refus au Tribunal administratif de Paris, lequel a rejeté sa requête pour irrecevabilité au motif que la demande de retrait avait été présentée plus d’un an après la délivrance du permis et qu’elle n’avait pas eu pour effet de proroger les délais de recours contentieux. Elle s’est pourvue en cassation contre le jugement et la décision implicite de rejet du maire.
La circonstance que l'acte ait été obtenu par fraude ne propage pas le délai de recours
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a dû répondre à la question suivante : « La circonstance qu’un acte ait été obtenu par fraude emporte-t-elle prorogation des délais de recours contentieux ? ».
En l’espèce, la demanderesse a formulé sa demande de retrait du permis en août 2015 alors que le délai de recours contentieux s’était éteint en juin 2014, puisqu’aux termes de l’article R.600-2 du code de l’urbanisme, le délai de recours contentieux à l’encontre d’un permis de construire court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain, ce qui avait été le cas en l’espèce.
La SCI CORA a alors tenté d’échapper à la forclusion en s’inspirant de l’article L.241-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) relatif à l’abrogation ou au retrait des actes frauduleux, aux termes duquel un « acte administratif qui a été obtenu par fraude permet à l'autorité administrative compétente de l'abroger ou de le retirer à tout moment ». La SCI a donc invoqué le moyen selon lequel la circonstance qu’un acte ait été obtenu par fraude emportait prorogation des délais de recours contentieux. Le Conseil d’Etat a refusé de suivre ce moyen au motif que l’acte obtenu par fraude, « ne saurait […] proroger le délai de recours contentieux ». Autrement dit, la SCI n’était plus recevable à demander l’annulation du permis de construire pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative, alors même que le permis aurait été entaché de fraude.
Cependant, l’existence d’un juste équilibre entre le principe de légalité des actes administratifs et le principe de sécurité juridique n’est pas une question nouvelle pour le Conseil d’Etat, qui s’est donc à nouveau prononcé s’agissant du retrait des autorisations d’urbanisme illégales. Cet aspect du présent arrêt se comprend aisément au regard des droits créés à l’égard du bénéficiaire du permis et des tiers, justifiant qu’ils ne puissent être attaqués indéfiniment. En effet, la solution inverse aurait tout simplement eu pour conséquence, d’offrir une voie de contournement des règles de forclusion permettant ainsi à tout tiers justifiant d’un intérêt à agir, d’alléguer une prétendue fraude pour remettre en cause de manière perpétuelle, un permis de construire, en saisissant le juge administratif.
Le contrôle du juge sur le refus de retrait des actes frauduleux
Cela étant, la haute juridiction n’estime pas pour autant que le principe de sécurité juridique s'oppose à la prise en compte d'une situation potentielle de fraude.
Ainsi, le Conseil d’Etat juge qu’ « un tiers justifiant d’un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai de recours contentieux, l’annulation de la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d’abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle, il l’a saisie d’une demande à cette fin ».
Autrement dit, il est toujours possible de provoquer une nouvelle décision administrative(autre que la décision accordant le permis de construire) en demandant l’abrogation ou le retrait de l’acte illégal, puis d’attaquer le refus de l’administration. Si le Conseil d’Etat a estimé que la SCI CORA n’était plus recevable à demander l’annulation du permis, elle l’était en revanche pour demander l’annulation du refus implicite du maire de procéder à son retrait.
Ce faisant, le Conseil d’Etat explicite la démarche que le juge administratif doit suivre afin de procéder à ce contrôle qui s’effectue alors en deux temps. Tout d’abord, le juge doit « vérifier la réalité de la fraude alléguée ». Ensuite, si la fraude est avérée, il doit contrôler « que l’appréciation de l’administration sur l’opportunité de procéder ou non à l’abrogation ou au retrait n’est pas entachée d’une erreur manifeste ». Ce contrôle minimum se justifie par l’opportunité qui est laissée à l’administration afin de mettre en balance le degré de gravité de la fraude avec les atteintes aux « divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l’acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait ».
En conclusion, s'il sera possible de provoquer une nouvelle décision administrative pour saisir le juge d'une demande d'annulation de la décision refusant de retirer celle obtenue par fraude, son contrôle sera minimum compte tenu de la marge d'appréciation dont dispose l'administration pour apprécier l'opportunité de retirer un tel acte.
Une fois encore, les solutions relèveront du cas par cas.
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