Le Conseil d'Etat a rendu le 02 juin 2023 (CE, 2 juin 2023, n° 461645) une décision très intéressante à plusieurs titres en matière d'autorisations d'occupation du sol (permis de construire en l'occurrence), s'agissant :
De l'existence d'une possibilité d'appel contre les jugements se rapportant à des décisions d'urbanisme délivrées pour des projets portant sur des constructions existantes, en "zone tendue" (voir notre commentaire dédié sur ce lien),
De la possibilité pour une commune de subordonner la mise en oeuvre de certaines prescriptions à son avis préalable, selon une procédure non prévue par le code de l'urbanisme (non admis par le Conseil d'Etat, jurisprudence constante),
De l'opposabilité aux demandes d'urbanisme des cahiers des prescriptions architecturales que contiennent parfois certains PLU en annexe,
De l'attention à porter par son rédacteur, au contenu des recours gracieux lorsqu'ils sont dirigés, non contre le permis de construire lui-même, mais contre les prescriptions susceptibles de l'assortir.
Ces deux derniers points font l'objet du commentaire ci-après.
Dans cette affaire, le maire de la commune de Montgeron avait délivré à une SCI un permis de construire en vue, d'une part, de surélever un immeuble existant dont la SCI était propriétaire, d'autre part, de réaliser huit logements dans la partie ainsi surélevée.
Ce permis de construire avait été assorti de pas moins de douze prescriptions !
Le recours contentieux émanait ici, non d'un voisin insatisfait de la surélévation, mais de la SCI elle-même, qui contestait plusieurs des prescriptions dont l'autorisation avait été assortie et relatives, notamment, d'une part, aux volets extérieurs de la construction, en prévoyant que ceux-ci devaient être des " volets battants persiennes en bois peint munis de lames à la française ajourées " et, d'autre part, aux modèles des portes d'accès, qui devaient être transmis pour avis au maire avant réalisation,.
Le Tribunal administratif avait annulé ces deux prescriptions mais avait rejeté comme irrecevables faute d'avoir fait l'objet du recours gracieux préalable, les moyens dirigés contre d'autres prescriptions du permis.
1. La SCI critiquait essentiellement la circonstance que le Tribunal administratif avait jugé le cahier des recommandations architecturales, annexé au plan local et auquel le règlement se référait expressément, opposable aux demandes d'autorisation d'urbanisme.
Selon les PLU, le cahier porte des noms variés (cahier des prescriptions/recommandations architecturales, par exemple).
Le Conseil d'Etat a considéré que les premiers juges n'avaient toutefois commis aucune erreur de droit en jugeant ses dispositions du cahier opposables aux autorisations d'urbanisme, dès lors que les dispositions du code de l'urbanisme :
10. (...) ne font pas obstacle à ce que le règlement du plan local d'urbanisme renvoie à un " cahier de recommandations architecturales ", adopté selon les mêmes modalités procédurales, le soin d'expliciter ou de préciser certaines des règles figurant dans le règlement auquel il s'incorpore.
Toutefois, précise le Conseil d'Etat, le cahier de recommandations architecturales ne peut :
10. (...) être opposé aux demandes d'autorisation d'urbanisme que s'il y est fait expressément référence dans le règlement et que ce cahier se contente d'expliciter ou préciser, sans les contredire ni les méconnaître, des règles figurant déjà dans le règlement.
Autrement dit, un cahier de recommandations architecturales sera opposable aux demandes d'autorisation d'urbanisme uniquement si trois séries de conditions sont cumulativement réunies, savoir :
S'il a été adopté selon les mêmes modalités procédurales que le PLU,
Si le règlement du PLU y fait expressément référence,
Si ce cahier ne fait qu'expliciter ou préciser des règles figurant déjà dans le règlement, sans les contredire ni les méconnaître.
Dans l'affaire que le Conseil d'Etat a eu à juger, l'article 11 du règlement du PLU de la commune de Montgeron, relatif à l'aspect extérieur des constructions, à l'aménagement de leurs abords et à la protection des éléments de paysage, prévoyait qu'un tel cahier venait compléter ses dispositions, le cahier en question indiquant par ailleurs être " un complément qualitatif indispensable au PLU et à son règlement. Il s'agit avant tout d'un guide pédagogique qui apporte des recommandations techniques en complément du règlement (...) Le présent cahier de recommandations vise à expliciter et à prolonger les prescriptions du règlement. En cas de doute sur l'interprétation d'une disposition, c'est le règlement qui prévaut (...) ".
Faisant application des principes ainsi dégagés, le Conseil d'Etat a validé le raisonnement du Tribunal administratif pour avoir appliqué les dispositions du cahier des recommandations architecturales annexé au plan local d'urbanisme de la commune, à la demande de permis de construire de la SCI.
Il se déduit de la jurisprudence du Conseil d'Etat que, par-delà l'appellation qui pourra avoir été donnée par le PLU à un tel cahier, la réalité de ses incidences juridiques dépendra intimément de son contenu ainsi que du contenu du PLU.
--> Les collectivités territoriales (communes ou EPCI) à l'origine d'un tel document seront ainsi appelées à la vigilance s'agissant de la portée juridique qu'elles entendent conférer à leur cahier de recommandations/prescriptions architecturales, dès lors qu'elle dépendra de multiples conditions.
--> Les autres personnes, demandeurs d'autorisations d'urbanisme, architectes ou voisins auteurs de recours, le seront quant à eux également au moment d'élaborer leur projet ou leur recours.
2. Un point de vigilance à l'attention des auteurs de recours gracieux et/ou contentieux mérite d'être évoqué, ainsi qu'il ressort de la décision commentée.
Alors que la SCI bénéficiaire du permis de construire critiquait devant le juge dans le cadre de son recours contentieux certaines des prescriptions dont il était assorti, le Tribunal a jugé ses moyens irrecevables au motif qu'ils n'avaient pas été développés dans le cadre du recours gracieux l'ayant précédé (lequel avait dû nécessairement proroger le délai de recours contentieux). Il l'a fait en ces termes :
7. En premier lieu, il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que le recours gracieux formé par la société requérante n'était dirigé que contre certaines des prescriptions attachées au permis de construire qui lui a été délivré, et que le délai de recours contentieux contre les autres prescriptions non contestées dans le recours gracieux était écoulé quand la société a saisi le tribunal administratif. Par suite, c'est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que le tribunal administratif a jugé que les conclusions de la requête dirigées contre les prescriptions qui n'avaient pas été contestées dans le cadre du recours gracieux étaient irrecevables car tardives.
--> Dès lors, il conviendra pour les requérants de se montrer vigilants et de contester dès le stade du recours gracieux (s'il y a lieu), l'ensemble des prescriptions qu'ils voudraient voir remises en cause, y compris par le juge administratif si celui-ci devait être saisi en cas d'échec de ce recours.
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